LE SILENCE
Au sortir d'une retraite de silence en cette Pâques 2023, je retourne dans mes écrits pour un partage. Je vérifie si j'ai déjà publié sur le sujet et ce que j'en ai dit. En parcourant mes notes, je relis celles-ci écrites lors d'un silence auquel je m'étais assignée au sein même de ma famille en 2021. Je vous les offre en partage. Ce sera le premier volet à ce sujet. Le témoignage de cette retraite 2023 à suivre.....
A deux reprises j’ai rompu le silence : la première fois, en fin de matinée lorsque mon portable a sonné. Je ne m’y attendais pas. J’avais choisi ces jours car je savais ne pas avoir d’interaction prévue autre que la famille. C’était Stéphane - "mon" maître contemporain - et cela est important pour moi. J’ai répondu sans culpabiliser, nous en avons même ri en disant que pour parler « au service de la sagesse » c’était admis !!
Pour autant mes mots ont eu une autre saveur. Je les ai d’abord pesés, me suis laissée ensuite embarquer et m’en rendant compte me suis faite moins bavarde. C’était assez étrange de revenir à la parole alors que cela ne faisait que quelques heures que je pratiquais le silence.
La deuxième fois était en milieu d’après-midi, au sortir d’une vidéo d’une heure et demi. Spontanément je me suis mise à parler et la personne (pourtant au courant) ne m’a pas reprise.
Lorsque j’ai retrouvé ma posture de silence, j’ai perçu l’utilité de nos paroles : meubler le vide. Les ¾ de nos paroles sont inutiles. Vraiment. Mais je crois que l’inutilité gêne moins que le vide qui effraie. Prenant conscience de cela, j’ai perçu les informations qui passent dans le silence. Je l’expérimente surtout avec les animaux. Les regards les gestes prennent le pas puis laissent place à une communication plus subtile : nous sommes là simplement ensemble. C’était d’ailleurs rigolo car la plus jeune des chiennes (3 mois) a beaucoup aboyé cet après-midi. Peut-être d’habitude mes mots la faisaient taire plus efficacement que ma présence !
Avec enfants et mari cela est plus complexe. Il y a une attente. J’espère qu’ils perçoivent dans cette expérience (que du coup je leur fais vivre également), peut-être leur dépendance. Je suis souvent sollicitée et là, ils se rendent compte que je ne répondrais pas à leur sollicitation.
Ce que j’ai observé également c’est que finalement je suis souvent entrain de parler toute seule ou à mes animaux. Je chante aussi. Cela me manque un peu. Mais je goutte à la qualité de présence : être là simplement. Cela est certes plus facile lorsque les règles du jeu sont posées mais je pense que cela m’aidera à l’être même sans cela. Je me rends également compte que je reproche souvent aux autres le bruit mais qu’en fait je ne suis pas si silencieuse que cela !!!
Bilan de la deuxième journée.
Toujours cette faculté à parler aux animaux. Je suis obligée de me reprendre, alors qu’avec les humains, je n ‘ai aucune peine à me taire.
J’observe la manière dont les membres de la famille interagissent avec mon silence et cela confirme la qualité auparavant perçue de nos relations.
La plus jeune continue de me questionner oubliant que je ne répondrais pas. Du coup elle a eu tendance à me zapper. Puis finalement elle s’y fait et me fais des signes !
Le cadet lui me regarde toujours étonné sans trop comprendre le sens de mon silence.
L’ainé s’est de suite adapter à la situation, cherchant mon regard pour avoir la réponse muette à son « bonjour ». Mettant des mots sur mes expressions ou mes gestes pour demander confirmation de sa bonne compréhension.
Quant à leur père sa toute première réaction m’a giflé le visage et j’ai souri : au lieu de me parler, il mimait avec ridicule. Comme si j’étais sourde plutôt que muette : une caricature quoi. Grossier…comme je lui reproche d’être souvent. Comme pour le cadet, je sens son incompréhension.
Un moment à table j’ai compris qu’au final pour moi cela ne change pas grand chose car nos échanges verbaux sont rarement plus intéressants que « Passe moi ceci, tu peux faire ça ? …etc.etc. »
Et cela m’a sauté aux yeux car il y a eu un moment où l’occasion a été d’avoir une conversation intéressante avec Noah. Une seule fois en deux jours !!!
Je décide alors qu’à l’avenir je vais peser mes mots et de ne parler que lorsque cela aura un intérêt …autant dire que je ne parlerai pas souvent. Ça je le savais déjà et c’est pour cela que j’ai souvent été tentée par cette expérience jamais faite : mes propres mots m’insupportaient de futilité et parfois de méchanceté. Je me disais alors qu’il valait mieux que je me taise.
Puisse cette expérience me faciliter la mise en place durable de cette intention.
En promenade, j’ai à nouveau perçu les sons de la nature : oiseau, ruisseau et j’ai alors pensé à tous ces animaux discrets : le renard, la biche, le chevreuil, le lièvre, le sanglier …qui peuplent nos forêts, mais que l’on entend rarement pour ne pas dire jamais. Que l’on pressent, que l’on remarque parfois à leur emprunte sur la neige, mais que l’on voit très peu et qu’on entend encore moins. Pourtant ils sont là présent.
Puis-je être comme eux dans le monde des humains.
Dans cette journée, le silence sans doute lié à ma lecture du moment « l’esprit de solitude » de Jacqueline KELEN m’a amené réflexion sur l’isolement. La solitude. Les personnes muettes. Et je choisis d’accueillir cette solitude dans le monde. Je me suis souvent sentie seule malgré l’entourage qu’il soit familial ou professionnel. Je l’ai souvent mal vécu. Aujourd’hui je l’accueille avec bonheur comme une force.
JOUR 3 :
Réflexion sur le témoin.
Ce qui est vu, celui qui vois celui qui voit !
En cette saint Valentin, l’amour qui est aimé et qui aime celui qui est aimé ?
L’amour est un accident ? Purusha/Prakriti qui se rencontre grâce à Prana, un mouvement, une énergie.
Solitude est un des noms de l’Absolu.
« J’étais un trésor caché, j’ai aimé à être connu, alors j’ai créé la création afin d’être connu » = mégalo, narcisse.
« l’Esprit de solitude » page 206 Jacqueline KELEN
Notre monde manque de solitude. Sans doute parce qu’il a renoncé à toute quête de l’intemporel et donné l’exclusive aux affaires terrestres, à l’homme historique et social.
On parle beaucoup actuellement de « vivre ensemble », mais cet art – qui est d’écoute et d’accueil d’autrui – ne s’acquiert que dans l’expérience de la solitude ;
De fait, les solitaires se comprennent très vite et n’ont pas besoin d’échanger beaucoup de mots pour s’entendre. Ayant approché l’essentiel, ils ne vont pas discuter de broutilles ni perdre leur temps à des choses insignifiantes. Ils ne vont pas non plus s’affronter, faire valoir leur vérité ni défendre une image de soi, parce que la solitude leur a montré leur ignorance et leur pauvreté extrêmes en même temps qu’elle les a nourris du grand silence de l’amour.